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MARIE-DIDACE

— Oh ! s’exclama Bernadette Salvail, v’là la belle musique à bouche d’une piasse et demie !

D’une année à l’autre le colporteur trimbalait avec la marchandise l’instrument qui n’était pas à vendre. Sitôt que quelqu’un faisait mine de vouloir l’acheter, il retournait l’harmonica à l’étui, ou bien il en haussait le prix.

— … Une har-mo-ni-ca, singea un enfant.

— Il parle bon français, dit Rose-de-Lima Bibeau.

Les femmes l’approuvèrent.

— Il a toujours eu un beau langage, admit Laure Provençal. On voit qu’il a parcouru les vieux pays. Il soigne son langage.

Pierre-Côme s’indigna :

— Regardez-les donc, toutes pâmées, devant un étranger qui a même pas été baptisé ! Et parées à lui donner notre dernière cenne. Quand on a, dans la paroisse, un commerçant alerte qui passe à la porte, deux fois la semaine, qui nous fait du bon, qui vend à crédit au besoin. Et toujours une belle façon ! Une histoire attend pas l’autre…

Sourd à leurs propos, le colporteur réchauffa entre ses mains, puis contre sa joue, l’instrument dont les côtés d’étain étincelèrent un instant. Il ferma les yeux. Ses lèvres humides, d’un rouge ardent luirent sous les moustaches tombantes. Puis il commença à jouer lentement, péniblement, comme