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MARIE-DIDACE

Quand ils étaient entre eux, ils ne nommaient jamais l’Acayenne autrement que : l’Autre.

— À peine de mourir là, j’y vas, s’entêta Alphonsine.

Au bout de deux pas, elle se retourna :

— Oublie pas de parler à ton père, tel que tu me l’as promis. Demandes-y carrément les arrangements qu’il a pris, puisque le notaire veut pas ouvrir la bouche. Tâche donc d’obtenir qu’il se donne à nous autres, par donaison. Pas par testament, t’entends ?

L’Acayenne enfonçait déjà les rames dans les tolets. Phonsine prit place à la pince de la chaloupe. Sur la commune, des flaques d’eau calme, çà et là dans les baissières, luisaient comme des pièces d’or. À tout moment, les vaches, alourdies de lait, meuglaient de malaise. Dociles, elles suivirent les femmes dans l’enclos. Aussitôt l’Acayenne se mit à l’œuvre, d’une main sûre. Pour soulager ses reins faibles, Phonsine ne s’assit qu’à demi sur le banc trop bas ; pliée en deux, elle appuya son front au flanc roux de la vache. D’abord, les jets de lait cinglèrent le fond du seau métallique. Ensuite, ils firent un bruit doux, comme une pluie d’ondée. Phonsine ne voyait qu’un rond blanc. Elle tourna un peu la tête. À côté, un veau l’œil béat, les pattes écartées et la queue en mouvement, buvait à la mère. Une bouffée de vent charria des vapeurs de