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LE SURVENANT

où les boulettes reposent dans une sauce onctueuse, les tourtières fondant dans la bouche et les rillettes généreusement épicées. Au fond du chaudron de fer, un paleron de jeune porc frais gratinait doucement avec un morceau d’échinée mis de côté pour Phonsine qui ne pouvait souffrir l’ail. Comme autrefois la dinde dégelottait dans le réchaud. Et tout en haut du bahut, dans la chambre de Didace, en sûreté loin de la vue des enfants, les sucreries, les oranges et les pommes languissaient derrière une pile de draps.

Tout comme autrefois, pensa Marie-Amanda. Mais la joie insouciante d’autrefois n’était pas en elle. Son cœur pétri de durs souvenirs se gonflait de chagrin : Ephrem s’est noyé, un midi de juillet ; il n’avait pas seize ans. Mathilde Beauchemin n’est plus de ce monde pour tenter de radoucir le père Didace quand Amable ronge son ronge ou que les deux hommes ne s’entendent pas. L’aïeule ne trottine plus dans la cuisine en déplorant qu’on ne fasse point de pralines comme dans l’ancien temps.

Cependant les paroles qui auraient pu exhaler sa peine, Marie-Amanda les retint en soi, pour ne pas attrister les autres. Elle s’en fut seulement à la fenêtre jeter un long regard au dehors, comme pour demander au pays immuable un reflet de sa stabilité. Le soir tombait bleuissant la nappe de neige dressée