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LE SURVENANT

Amable, taciturne, l’esprit maladif, qui boudait, allongé contre le poêle, prit à la hâte son casque et son capot de poil et sortit.

— Voyons, voyons, Phonsine, lui reprocha le Survenant, on pleure pas pour des riens : c’est pas le temps, le dimanche matin. Tu devrais avoir honte : Amable qui t’aime tant !

Alphonsine, sa rancune contre Amable et sa sauvagerie subitement oubliées, se vira, brusquement agressive, du côté de Venant :

— Quoi c’est que t’en sais tant pour te mêler de parler, Grand-dieu-des-routes ? Et qui c’est qui te dit qu’Amable m’aime ? À moi il m’en parle jamais.

Du haut de ses grands bras Venant laissa s’ébouler dans la boîte à bois la brassée de plane des îles :

— C’est pire : une femme, ça peut vous taper la face pendant des heures de temps. Mais si vous lui prenez seulement le bout du petit doigt pour l’arrêter, elle crie au meurtre comme une perdue. Et un homme a beau donner son nom à une femme, il pourrait s’ouvrir la poitrine avec un couteau et s’arracher le cœur pour elle. Du moment qu’il lui déclame pas à tous les vents qu’il l’aime, non ! il l’aime pas !

Alphonsine, piquée, le relança :

— T’en sais ben long sur les femmes, pour un vieux garçon de ton espèce ?