Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
LE SURVENANT

tant il se souvenait de l’avoir solidement amarré, la veille, tel que de coutume. Peut-être que Joinville Provençal ou Tit-Noir à De-Froi, ou un autre l’aurait toué ailleurs pour le plaisir de lui jouer un tour ? Pourtant les jeunesses savaient qu’il n’entendait pas à rire là-dessus. Il sauta dans la chaloupe et partit visiter les quais voisins, puis d’autres plus éloignés, s’informant de son canot auprès de chaque habitant, mais en vain : personne n’en avait eu connaissance.

Vers deux heures une crampe d’estomac ramena Didace à la maison. Il mangea seul, au bout de la table, sans prononcer une parole, et sans lever la vue de la soucoupe où son thé refroidissait, son seul souci, on eût dit, étant de surveiller les courtes vagues que son souffle faisait naître dessus. La dernière bouchée à peine avalée, il passa la porte et ne revint qu’à la nuit tombée, ayant parcouru les petits chenaux, les rigolets, partout où le canot pouvait s’être échoué. Le lendemain, ni Amable, ni Alphonsine n’osèrent aborder avec lui le sujet. Ce fut Venant qui rompit le silence. Aussitôt les trois hommes se mirent à parler à la fois comme s’ils eussent par miracle recouvré l’usage de la parole.

Venant dit :

— Si c’est la perte de votre canot qui vous occupe…