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LE SURVENANT

Puis la maison retourna à son silence sourd. Par les seize carreaux le clair de lune trembla sur le lit. À même le treillis d’argent découpant la courtepointe foncée, Didace étira ses gros pieds, avides de détente.

Soudain, comme par une ultime générosité, avant-courrière de l’abandon, tout se pacifia dans la maison. Voilà que le silence s’allégeait et que Didace ne sentait plus la main dure à son épaule. Z’Yeux-ronds, battant de la queue sur le plancher de la cuisine, témoignait de sa présence sympathique et fidèle. Même l’air de la chambre s’enrichissait, on aurait dit : la nuit touchait à sa fin.

L’aube s’annonça prochaine. « L’heure de la passe », songea Didace. Mais les canards avaient quitté le pays. Il se recueillit pour entendre en lui, encore une fois, leur dernier vol. Le bruit d’aile mollissait, lointain : Didace verrait-il les canards sauvages revenir au printemps ? Le bruit d’aile mollissait, fluide, insaisissable : Didace serait-il de ce monde, à l’avril prochain, quand à l’eau haute noyant les prés du Chenal, le premier couple se poserait sur la mare, derrière la maison ? Le bruit d’aile mollissait… mollissait… perdu dans les nuages : Didace reposait.

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