Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
LE SURVENANT

tournoiements et volètements de canards de toutes sortes. Il s’exerça à distinguer au milieu des noirs, surtout en grand nombre, le harle huppé de violet toujours à l’affût de poisson, le bec-scie à la démarche gauche, le bec-bleu, le milouin à cou rouge, le gris au long col haut cravaté de blanc, un français sauvage, et une ou deux marionnettes. Un malard, racé et distant, le plumage bigarré, se tenait à l’écart avec sa cane. À tout moment un oiseau, frénétique de départ, dans un fracas d’eau et de plumes, tendait toutes grandes à l’air ses ailes chargées d’élan.

Incapable d’en détacher ses regards, Venant resta longtemps immobile, ébloui, jusqu’à ce que, pris de vertige, il s’aperçût que la terre brunissait à vue d’œil, à l’approche du soir. Au retour, l’eau parut plus lourde à l’aviron ; avant longtemps il gèlerait pour de bon.

En entrant dans la maison, il fut fort étonné de n’y trouver qu’Alphonsine. La jeune femme, tout à l’heure mortellement inquiète d’être ainsi seule à la nuit tombante, jugeait naturel, maintenant qu’elle était rassurée, de passer sa mauvaise humeur sur le premier arrivant.

— Vous v’là ? Il est à peu près temps.

— Et les deux autres ?

— Amable est parti en ouaguine mener mon beau-père.