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LE SURVENANT

et forte, une main qui semblait douce au toucher et en même temps ferme et blonde comme le cœur du chêne, une main adroite à façonner de fins ouvrages, Angélina en était sûre. Sous la peau détendue les veines saillaient ; elles couraient en tous sens ainsi que de vigoureux rameaux échappés de la branche. L’infirme pensa : une telle main est un bienfait à qui la possède et une protection pour la femme qui y enfermera sa main. Quelqu’un passa la porte et la lumière de la lampe vacilla. Devant l’or roux que la lueur alluma un instant au duvet des cinq doigts large ouverts, elle trouva que la main du Survenant ressemblait à une étoile.

La veillée tirait au reste. La vieille horloge des Beauchemin sonnait les heures à coups grêles et précipités. Elle en laissa tomber neuf d’affilée dans la cuisine. Aussitôt chacun se prépara à rentrer sous son toit et Venant songea aux travaux du lendemain. Il n’aimait rien autant que de se tailler une bonne journée d’ouvrage.

Après la mort de sa femme, Didace avait laissé plusieurs choses en démence sur la terre : il n’avait le cœur, pour ainsi dire, à rien d’autre que sa peine. En arrivant le Survenant vit tout ce qui penchait, ce qui cherchait à manquer ou qui voulait seulement faire défaut : le fournil à radouber, les vieux bâtiments à jeter à terre, les clôtures à redresser, celles