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LE SURVENANT

acquérir : elle savait prendre naturellement l’ouvrage dans le droit sens. Sa vie à la veillée ne variait que selon deux saisons : tant que duraient les beaux jours, elle regardait, les mains jointes, couler l’eau de la rivière et les oiseaux passer ; vers la fin de l’automne et à l’hiver, elle se reposait à la tranquillité, assise, immobile dans l’ombre, à prier ou occupée seulement à suivre le reflet de la flamme en danse folle sur le plancher.

Bien qu’elle aimât à lire, elle ne l’aurait jamais osé un jour de semaine, la lecture étant dans son idée une occupation purement dominicale, et trop noble aussi pour s’y adonner en habits de travail.

Mais le dimanche après-midi, revêtue de sa bonne robe sur laquelle elle passait un tablier blanc, frais lavé, fleurant encore le grand air et le vent, là elle pouvait sortir ses livres. À la vérité elle n’en possédait que deux : son missel et un prix de classe : Geneviève de Brabant. Elle alternait, lisant dans l’un, un dimanche, et le dimanche suivant, dans l’autre, sans jamais déroger.

Même seule elle lisait à haute voix, afin de se mieux pénétrer du sujet. L’histoire de la modeste Geneviève, au milieu des loups dans la forêt, se nourrissant uniquement de racines, avec son fils, Dolor, — pauvre petit saint-jean-baptiste vêtu de peau de bête — lui tirait des larmes. Quelquefois,