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LE SURVENANT

Au milieu de l’après-midi, Phonsine, croyant les hommes aux champs, sortit une pointe de velours à sachets et s’amusa à la faire chatoyer, tout en rêvassant.

De son bref séjour au couvent où en échange de légers services on l’accepta parmi les élèves qu’elle servait à table, elle gardait la nostalgie des fins ouvrages. Passer de longues soirées dans un boudoir, sous la lampe, à l’exemple de jeunes Soreloises, à travailler la mignardise, la frivolité ou à tirer l’aiguille à petits points, lui avait paru longtemps la plus enviable destinée. Parfois elle sortait de leur cachette de délicates retailles de satin pâle et de velours flamme, pour le seul plaisir de les revoir de près et de les sentir douces au toucher.

Autrefois, à imaginer les porte-balai, les pelotes à épingles et tous les beaux objets qu’elle pourrait façonner de ses mains et enfouir au fond d’un tiroir dans du papier de soie, une nostalgie gagnait Alphonsine à la pensée qu’elle était plutôt faite pour porter de la dentelle et de la soie que pour servir les autres. Mais son entrée dans la famille Beauchemin lui conféra un tel sentiment de sécurité que, s’il lui arrivait encore de frissonner en ravaudant les rudes hardes des hommes, elle s’interdisait des pensées frivoles de la sorte. Du reste elle n’aurait plus le temps de coudre ainsi. Ni l’habileté. Et la raideur de ses doigts l’en eût empêchée.