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LE SURVENANT

Elle ressemblait à une maison par lui aperçue en rêve autrefois : une maison assise au bord d’une route allant mourir au bois, avec une belle rivière à ses pieds. Il y resterait le temps qu’il faudrait : un mois ? Deux mois ? Six mois ? Insoucieux de l’avenir, il haussa les épaules et ramassa la pierre et l’outil. Puis, d’un pouce lent, sensible, humide de salive, ayant pris connaissance du taillant, il continua tranquillement à affûter la faux.

— Arrivez vite, Survenant, le manger est dressé.

Comme il s’avançait vers la maison, Alphonsine lui reprocha :

— Traînez donc pas toujours de l’aile de même après les autres.

Alphonsine se mettait en peine d’un rien. Le plus léger dérangement dans la besogne routinière la bouleversait pour le reste de la journée. De plus, de faible appétit, d’avoir à préparer l’ordinaire, depuis la mort de sa belle-mère, surtout la viande que Didace voulait fortement relevée d’épices, d’ail et de gros sel, lui était tous les jours une nouvelle pénitence. Nul supplice cependant n’égalait pour elle celui de voir à chaque repas la nourriture soumise au jugement du Survenant. Ah ! jamais un mot de reproche et jamais un mot de louange, mais une manière haïssable de repousser l’assiette, comme un fils de seigneur, lui qui n’était pas même de la pa-