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LE SURVENANT

chêne, il avait ce bel équilibre de l’homme sain, dans toute la force de l’âge. Ses yeux gris-bleu, gais à l’ordinaire, avaient un reflet de tristesse au repos ; son front étroit et expressif s’agitait à la moindre parole ; sa chevelure, rebelle et frisée dru, d’un roux flamboyant, descendait bas dans le cou. En l’apercevant tantôt, elle avait songé : « C’est pire qu’un feu de forêt. » Et quand il s’était penché pour amasser un clou, elle avait vu à la naissance de la nuque une éclaircie de peau blanche, trop blanche pour un homme, une peau fine, il lui semblait.

Mécontente de se laisser ainsi subjuguer par l’image d’un passant, elle s’entêta à lui trouver des défauts : son nez aux ailes nerveuses était large et à la fois busqué ; son menton, court, taillé en biseau, on dirait ; mais sa bouche, aux lèvres charnues, bien dessinées, d’où le rire s’échappait en cascades comme l’eau impatiente d’une source, sa bouche était belle, en toute franchise elle l’admit. Ce grand rire !… Elle l’entendait encore. Il faisait lever en elle toute une volée d’émoi. Le grand rire clair résonnait de partout, aussi sonore que la Pèlerine, la cloche de Sainte-Anne-de-Sorel quand le temps est écho.

Angélina ne se reconnaissait plus : ses tempes battaient, dans une montée de sang, ainsi que sous les coups de deux mains acharnées. En se retournant,