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LE SURVENANT

voir, on s’imaginait qu’il serait mer et monde à manger : ben aimable à regarder, quant à ça, oui ; ben gouffe, mais tout en plumes et rien en chair. Lui est pareil. Un fend-le-vent s’il y en a un. Connaît tout. A tout vu.

— Est-il d’avance à l’ouvrage ? demanda Angélina, vivement intéressée.

— Des journées il est pas à-main en rien. D’autres fois, quand il est d’équerre, le sorcier l’emporte et il peut faire mourir quatre bons hommes rien que d’une bourrée. Avant-hier…

L’avant-veille, Venant s’était mesuré avec Didace et Amable à l’encavement des pommes de terre. À genoux sur la charge, arc-bouté et les épaules écartées, le Survenant levait les sacs à bout de bras et les passait agilement au père Didace. Le vieux, les gestes moins vifs, les donnait à Amable, au guet, la tête dans le soupirail pour les placer dans le port. Sans vaillance à l’ouvrage, Amable, verdâtre de fatigue, essuyait sur sa manche le sang qui lui coulait du nez. À tout moment il réclamait de Venant quelque service, un gobelet d’eau, un outil, ou s’informait de l’heure, afin d’obtenir un répit. Le père Didace le surveillait :

— Le flanc-mou ! Va-t-il encore s’éreinter, quoi !

Mais lui-même dut à plusieurs reprises marquer le signal d’un arrêt, sous le prétexte d’allumer sa