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LE SURVENANT

chemin, un passant. Puis il harcela la rivière qui écumait, moutonneuse, et colla les embarcations à la grève, ébranla les toits des vieux bâtiments, ouvrit les portes à deux battants et courut aux champs coucher un dernier regain : un vent du diable, hurlant à la mort. Il fit rouler un bidon jusqu’au bas du talus.

Au vacarme, Didace accourut au dehors, Z’Yeux-ronds grondant à ses côtés. Étonné de trouver là Angélina il s’exclama, joyeux :

— Tu manges une claque de vent, hé, fille ?

— Vous autres même, répondit sèchement l’infirme, le frette vous fera pas grand dommage cet automne, d’après ce que je peux voir.

Dès le seuil de la porte, elle allait dire sa façon de penser à Alphonsine, mais à la vue du Survenant qu’elle ne connaissait pas, elle s’arrêta, saisie. Après l’échange de quelques phrases, elle s’absorba en silence à regarder Alphonsine préparer des tartes. Elle fatiguait de voir la jeune femme ajouter sans cesse de la fleur de farine à la pâte trop flasque et se reprendre à la rouler.

Quoique fort ménagère, de son naturel, Angélina pouvait admettre la folle dépense, une sorte de générosité consentie envers soi ou les autres. Mais le moindre gaspillage, autant du butin d’autrui que du sien, la portait à l’indignation : le bien perdu