Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
LE SURVENANT

sans un accent de vie, penchée sur ton mal, comme une plante morte sur la commune. Ton père est à la veille de revenir. Faut pas qu’il te retrouve de même. Redresse-toi.

Au rappel de son père, Angélina s’était roidie. Les yeux secs, sans même exhaler un soupir, elle sortit de la maison. Marie-Amanda, inquiète, la regarda faire. Elle la vit se hisser sur la pointe des pieds, puis souffler deux fois, trois fois, sur la flamme du fanal. Tantôt haute, tantôt basse, la flamme fuyait à gauche, à droite, comme si elle n’eût pas voulu mourir. Alors Angélina saisit la mèche allumée et l’écrasa à pleins doigts. Ensuite elle alla rabattre le couvercle de l’harmonium et retourna à sa place auprès de Marie-Amanda. Mais elle était méconnaissable : on eût dit une agonisante.

Là, le visage enchâssé dans ses mains veineuses et transparentes à force de maigreur, elle se recueillit. Son sort, elle l’acceptait. Son sacrifice, elle l’accomplissait. Le passant qui, un soir d’automne, au Chenal du Moine, avait heurté à la porte des Beauchemin, pouvait s’éloigner à pas tranquilles, sur la voie sans retour. Dans un geste de résignation, les mains de la pauvre fille s’ouvrirent ainsi que pour délivrer un oiseau captif.

Quand elle parla de nouveau du Survenant, ce fut comme d’un être qui vient de passer de vie à trépas :