Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— 3 —


Avant de s’engager dans le sentier oblique conduisant à la maison des Beauchemin, Angélina Desmarais s’arrêta près de la haie vive et chercha son souffle. À marcher seule, elle trouvait la route longue et, au tournant de la montée, le vent embusqué dans les saules l’avait assaillie à la gorge et quasiment jetée à terre.

Angélina avançait lentement. Une légère claudication, reliquat d’une maladie de l’enfance, la faisait incliner vers la gauche plutôt que boiter franchement.

Vigilante et économe, elle usait son linge à la corde et n’employait jamais un sou à des frivolités. « Capable sur tout », disait-on d’elle dans le rang et dans les îles jusqu’à Maska. Un mari y trouverait son profit. Ainsi devaient penser les jeunes gens des environs : une semaine, ce fut l’un, la semaine suivante, un autre, qui attacha son cheval au peuplier proche de la maison de David Desmarais. Puis sautant allègrement du boghei, avant même de dételer, selon que le veut la politesse campagnarde, le cavalier, son cache-poussière enlevé, avait gentiment abordé Angélina pour lui demander la faveur de la veillée. Mais aucun n’avait été agréé. David