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Le lendemain matin, Didace revint de l’Îlette à Bibeau. Tout songeur, il perchait tranquillement le long de la commune. Les berges basses lui permettaient de voir loin au-dessus des chaumes et, l’oreille aux aguets, habile à démêler les sons, il écoutait. Il s’arrêta un moment : à Sorel le sifflet des chantiers maritimes lançait son cri d’appel. Sept heures.

Toute la longue nuit, Didace l’avait passée sous le prélart de chasse, à l’affût, sans tirer deux coups de fusil. De plus une chouette avait foncé en trombe sur ses plants vivants et effarouché ses canes. Maintenant transi et affamé, il avait hâte d’arriver à la maison.

Soudain le temps où sa femme vivait repassa devant ses yeux. Du plus loin qu’elle l’apercevait, Mathilde accourait au-devant de lui, sur le quai, prête à l’aider. À la maison, quel repas l’attendait ! Des grillades de lard dorées, des œufs en quantité comme il les aimait, avec du thé fort, brûlant. Rien de tiède. Et dans le lit elle lui gardait, entre les draps de laine du pays, sa place encore toute chaude pour son somme d’après le déjeuner. Et toujours le mot juste pour chacun et pour chaque chose. Ah ! la vraie femme qu’il avait ! Mais elle était morte, usée de peine. Et dire qu’à présent, dans sa maison,