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LE SURVENANT

— On fera une complainte sur toi, le fou à Venant.

— Tu crèveras, comme un chien, fend-le-vent.

— Sans avoir le prêtre, sans un bout de prière…

— Grand-dieu-des-routes !

Le Survenant, la tête haute, les domina de sa forte stature et dit :

— Je plains le gars qui lèverait tant soit peu le petit doigt pour m’attaquer. Il irait revoler assez loin qu’il verrait jamais le soleil se coucher. Personne ne peut dire qui mourra de sa belle mort ou non. Mais quand je serai arrivé sur la fin de mon règne, vous me trouverez pas au fond des fossets, dans la vase. Cherchez plutôt en travers de la route, au grand soleil : je serai là, les yeux au ciel, fier comme un roi de repartir voir un dernier pays.

— Pour une fois, Survenant, t’auras pris la bonne route, lui répondit Jacob Salvail.

Heureux de se détendre, ils rirent de bon cœur. Mais ils s’arrêtèrent net quand Venant commença à fredonner, tout en clignant de l’œil vers Angélina. Plus cirée qu’une morte, accablée d’une peine indicible, elle l’écouta chanter la chanson de son cœur :

Là-haut, là-bas, sur ces montagnes,
J’aperçois des moutons blancs
Beau rosier, belle rose,
J’aperçois des moutons blancs,
Belle rose du printemps.