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LE SURVENANT

même un petit dans les bras, après trois années de ménage. »

— Puis, Amable ? questionna-t-il soudain.

Alphonsine sursauta :

— Amable ? Il repose sur le canapé d’en-haut. Apparence qu’il est revenu des champs à moitié éreinté.

Didace se remit à fumer. Amable se révélait de la même trempe molle. Aussi longtemps que Mathilde vécut, la vigilance maternelle dressa son rempart entre le père et le fils. Maintenant qu’ils étaient deux hommes face à face à longueur de journée, Didace prenait la juste mesure de son fils. Amable-Didace, le sixième du nom, ne serait jamais un vrai Beauchemin, franc de bras comme de cœur, grand chasseur, gros mangeur, aussi bon à la bataille qu’à la tâche, parfois sans un sou vaillant en poche, mais avec de la fierté à en recéder à toute une paroisse.

Lui, Didace, a fait sa large part pour la famille, d’un amour bourru et muet, mais robuste et jamais démenti. Les bâtiments neufs, solides, de belle venue, qui les a érigés, sinon lui ? La pièce de sarrasin, qui l’a ajoutée à la terre ? C’est encore lui. Deux fois marguillier, puis conseiller, il a eu de l’importance et il a su garder de la considération dans la paroisse. Mais les sacrifices ? À eux deux, Mathilde et Didace ne les ont jamais marchandés.