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LE SURVENANT

cieux, côte à côte, si près qu’ils sentaient la chaleur de leurs bras à travers les vêtements, mais éloignés à des lieues par la pensée. Passé la maison du Gouverneur, ils virèrent de bord pour retourner au Chenal. Devant le campement de bohémiens, la jeune gypsy, maintenant seule, sourit au Survenant. De ses longs yeux pers, de ses dents blanches, de tout son corps félin, elle l’appelait. Sans un mot il mit les guides dans les mains d’Angélina et sauta en bas de la voiture.

Abandonné à sa seule fantaisie, le cheval arracha d’abord un bouquet de feuillage à un arbrisseau puis avança, pas à pas, en rasant l’herbe douce, à la lisière du chemin. Non loin de là une vieille bohémienne trayait une chèvre tout en parlant avec volubilité à une jeune femme occupée à laver un bébé dans une cuve. Nu-pieds, en guenilles, deux gamins pourchassaient autour de la roulotte un chien jaunâtre, marqué de coups. Trois chevaux maigres, si maigres qu’on aurait pu compter leurs côtes — de vraies haridelles — assistaient impassibles à la course. L’œil somnolent, la mâchoire baveuse, ils ne remuaient la queue ou la crinière que pour éloigner les mouches acharnées à leur carcasse.

— Ah ! les campions de maquignons ! pensa avec mépris Angélina. Ils auront besoin d’engraisser ces