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LE SURVENANT

au-dessus de la rivière, tandis qu’ils baignaient à l’eau claire la blessure de leur tronc mis à vif par la glace de débâcle ; d’autres si remplis de sève qu’ils écartaient leur tendre ramure pour partager leur richesse avec les pousses rabougries où les bourgeons chétifs s’entr’ouvraient avec peine.

Tout près un couple de sarcelles se promenait. Indolente, la cane retourna à sa couvée pendant que le mâle s’ébrouait de fierté, mais tout le temps vigilant à l’égard de la jeune mère. Ni l’un, ni l’autre ne se montrèrent farouches à l’approche de l’embarcation. Le sentiment de la vie était si fort en eux qu’il leur faisait dominer leur peur naturelle de la mort.

La chaloupe navigua dans un chenal de lumière entre l’ombrage de deux îles, lumière faite du vert tendre des feuilles, de la clarté bleue du ciel et de la transparence de l’eau, sûrement, mais aussi lumière toute chaude de promesse, de vie, d’éternel recommencement. Un courage inutile assaillit le Survenant. Une ardeur nouvelle força son sang. Il eût voulu se mesurer à une puissance plus grande que lui, abattre un chêne, vaincre un dur obstacle ou peut-être bâtir une maison de pierre. Seul, il eût crié à toute sa force. D’instinct il se mit à percher si rapidement que la chaloupe faillit verser.

— T’es ben en jeu, lui remontra Didace. Fais