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LE SURVENANT

Sur un ton qui n’admettait pas de réplique, Didace trancha :

— Neveurmagne ! Le fournil attendra : il est pas à l’agonie.

— Voyons, se dit Phonsine, v’la-t-il mon beau-père qui va se mettre à sacrer en anglais comme le Survenant ?

Didace s’installa à l’avant de la chaloupe. Ils traversèrent le chenal à la rame puis le Survenant se mit à percher le long de la rive nord.

— Tu ferais mieux de prendre la « light » de l’Île aux Raisins comme amet, lui conseilla Didace. C’est écartant dans les îles à cette saison-icitte.

Les grandes mers de mai avaient fait monter l’eau de nouveau. À mesure qu’il avançait, le Survenant s’étonna devant le paysage, différent de celui qu’il avait aperçu, l’automne passé. En même temps il avait l’impression de le reconnaître comme s’il l’eût déjà vu à travers d’autres yeux ou encore comme si quelque voyageur l’ayant admiré autrefois lui en eût fait la description fidèle. Au lieu des géants repus, altiers, infaillibles, il vit des arbres penchés, avides, impatients, aux branches arrondies, tels de grands bras accueillants, pour attendre le vent, le soleil, la pluie : les uns si ardents qu’ils confondaient d’une île à l’autre leurs jeunes feuilles, à la cime, jusqu’à former une arche de verdure