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LE SURVENANT

La pleine lune d’avril apporta le coup d’eau. Après les inondations, la terre fuma et peu à peu elle sécha. Pendant des jours et des jours, elle s’étira paresseusement au soleil avant de s’éveiller tout à fait.

Enfin, un matin, le printemps éclata. Un duvet blond flotta sur la campagne plus blonde elle aussi. L’eau du chenal redevint claire et verte. Par moment, ses courtes vagues scintillaient, telles des écailles d’argent. Souvent le Survenant suivait leur jeu captivant. Un midi, il crut entendre un murmure étranger. Il prêta l’oreille : plus qu’un murmure, un chant suave, une musique incomparable s’élevait parmi la prèle des marais, droite et rose près des berges. De partout à la fois, de la rivière, du cœur de la terre sonore, une musique montait, grandissait. Ses ondes harmonieuses couvrirent la plaine entière, elles enveloppèrent le Chenal du Moine et se répandirent passé les baies, passé les petits chenaux, passé les rigolets, à l’infini. En un hymne à la vie, les grenouilles se dévasant remontaient à la surface de l’eau et célébraient leurs noces avec la lumière du jour.

Après une pluie de durée, une odeur végétale, terreuse, dépassa les clairières et, dans le vent aigre, alla rejoindre l’odeur douceâtre de l’eau : parmi le paillis, les fougères à peine visibles sortaient la tête.