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LE SURVENANT

En se retournant, Angélina crut que le sol se dérobait sous ses pas : le Beau-Blanc à De-Froi avançait vers l’hôtel. Elle ne put lui cacher à temps son visage défait par le chagrin. Déjà il lui disait :

— Si c’est le Venant aux Beauchemin que vous cherchez, attendez-le pas : je viens de le rencontrer avec sa compagnie, dans la Petite-Rue.

Le coup porta mais l’infirme se roidit et eut le courage de ravaler ses larmes. Si de sa mauvaise langue le bavard allait colporter partout chez Pierre-Côme Provençal, chez Bernadette Salvail, chez les Beauchemin, et même au presbytère de Sainte-Anne, qu’il l’avait vue rôder devant l’hôtel ? Certes, Angélina souffrait de croire que le Survenant ne l’aimait pas, mais à la pensée que les gens du Chenal connaîtraient son délaissement, sa souffrance s’accrut.

Et que penserait le Survenant, à la nouvelle qu’elle l’avait ainsi attendu, tandis qu’il était auprès d’une autre ? Il rirait peut-être, de son grand rire ? Le meilleur en elle l’avertit que non. Il l’avertit aussi que Beau-blanc ne lui en dirait rien. Le même instinct grégaire qui pousse les moutons dans les champs à entourer la brebis sur le point d’agneler, afin de la soustraire aux yeux des animaux d’une autre espèce, la préserverait de tout bavardage de la sorte. Elle n’eut plus qu’une idée : atteindre sa maison. La voix douce et triste, elle dit :