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LE SURVENANT

S’il n’en tient qu’à Alphonsine, ils ne l’apprendront pas de sitôt. Et elle, qui a déjà tant de peine à se faire valoir dans la maison, que deviendrait-elle à côté d’une autre femme, une ancienne qui doit savoir la manière de parler aux hommes et de donner ses raisons, puisque déjà le père Didace l’écoute ? Puis la terre ? La terre revient de droit à Amable. Si Didace allait la passer à l’étrangère, Amable et elle seraient dans le chemin. Elle se vit hâve et en guenilles mendier son pain de maison en maison sur quelque route inconnue.

Soudain, il lui vint une telle angoisse que son cœur se trouva tordu de chagrin ; elle connut une si grande détresse que son âme fut noyée de découragement. Un pressentiment terrible la fit frissonner de la tête aux pieds. Elle voyait le malheur — tel un oiseau de proie plane hautain, patient et lent, avant de fondre sur la victime de son choix — éployer une fois de plus ses sinistres ailes noires au-dessus de la maison des Beauchemin. Après la noyade d’Ephrem, Mathilde était morte. La grand-mère avait suivi de près. Trois deuils en trois ans, un dur lot à supporter pour une famille. Un malheur n’arrive jamais seul.

Pour comble de malchance le Survenant, cette ramassure des routes, ce fend-le-vent, s’est arrêté au Chenal du Moine. Que ne passait-il son chemin !