Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
LE SURVENANT

Mais, rongée de curiosité, après avoir essuyé le parquet elle se radoucit :

— Dis-moi la vérité, Survenant. Le père Didace est en amour avec…

Elle mouilla d’eau l’essuie-main de toile et lui en frictionna le visage, surtout le front et les tempes, en allant vers la nuque, mais il persistait à se taire et ne faisait que tousser. Sans le vouloir elle s’attendrit. « Personne ne prend soin de lui », pensa-t-elle. Et elle se mit à lui laver plus doucement la figure, comme elle eût lavé un enfant. De temps en temps elle lui parlait pour que le pâle éclair de raison ne s’évanouît pas dans les brouillards de l’ivresse. Subitement, la voix de l’homme s’enfla. Les mots démarraient à tout voile. Maintenant, rien ne saurait l’arrêter de parler.

Alphonsine ne bougea plus. Elle garda la tête du Survenant contre son épaule. Souvent on lui avait dit que, de la bouche d’un homme ivre, sortent des vérités. Dans le fouillis des phrases, elle chercha à distinguer celles qui avaient du sens :

— … rien qu’un survenant… rien qu’un survenant… mais je respecte votre maison… je respecte le père Didace… un vrai taupin, le meilleur chasseur du canton. Il est pas comme les Provençal… ah ! les plus gros habitants du canton… mais toute une bande d’ignorants… savent rien en tout… savent pas