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LE SURVENANT

table. À peine assis, la tête se mit à lui osciller de sommeil. Deux flaques de boue maculèrent le parquet. Alphonsine n’y tint plus.

— Si c’est pas un vrai déshonneur de se mettre en boisson, pareil ! Et regarde donc mon plancher tout sali, mon plancher frais lavé ! Tu devrais avoir honte !

Elle se dit : « Je savais que ce passant-là nous apporterait rien que des revers. » Mais en son cœur elle enrageait moins devant le dégât sur le plancher, qu’elle ne déplorait de voir le Survenant en semblable état. Malgré elle, à son mécontentement se mêlait de la pitié pour l’étranger, solitaire, qui se croyait fort parce qu’il avait de grands gestes pour proclamer sa force et sa puissance de se passer du monde entier, mais à la merci de la première tentation.

Le mackinaw du Survenant dégouttait. De peine et de misère elle le lui enleva. Mais elle eut beau tirer à toute reste sur ses bottes, grises et gluantes de glaise, elle ne vint pas à bout de lui en arracher une. En vain elle le supplia :

— Si tu voulais t’aider le moindrement…

Puis elle le menaça :

— Je dirai tout à mon beau-père. Il te mettra à la porte. À soir. Pas plus tard qu’à soir. Tu vas crever comme un chien et ça sera ben bon pour toi.