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LE SURVENANT

le temps se rembrunit. La pluie maintenant tombait à grosses gouttes. Debout près de la fenêtre, Alphonsine regarda la pluie descendre sur les vitres : oblique, par courtes flèches, elle frappait les carreaux, ou bien une goutte tremblait, hésitait, puis s’élançait d’un seul jet, comme une couleuvre d’eau. Soudain la jeune femme sursauta : un homme s’avançait dans le sentier. C’était Venant. Seul et à pied, il était en fête ; il chambranlait.

Vitement elle alluma la lampe et elle s’assit dans un coin reculé. Après s’être dandiné mollement de bord en bord de l’embrasure, le Survenant se décida à franchir le seuil de la porte, levant les pieds de façon exagérée. Comme un arbre à tous les vents, il chancelait. Il s’arrêta, l’œil vague, la taille cambrée exagérément dans un futile effort de dignité, et il sourit, béat, aux solives du plafond. L’une d’elles semblait attirer son attention davantage. L’air sérieux il l’examinait avec soin et il lui faisait toutes sortes de petits signes insensés. Puis, à la recherche d’un appui, la main dans le vide, il écarta si grands ses doigts démesurés qu’à la lueur de la lampe leur ombre s’étendit en une nuée sur la cuisine. On eût dit que la main gigantesque voulait ramasser tout un pan de mur et, d’une seule jointée, le projeter au dehors. Alors il prit son élan et en deux longues enjambées alla s’écrouler sur une chaise, près de la