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LE SURVENANT

capable de parler. D’ailleurs elle n’avait rien à lui dire. Quand il eut quitté la chambre, elle voulut se ressaisir : « J’aurais bien de la grâce de m’occuper de lui. Qu’il boive donc son chien-de-soul s’il le veut ! Ça peut pas rien me faire ». Elle pensa à apporter de l’eau pour réduire le caribou, mais son père ne le lui pardonnerait pas. De ses yeux embrumés, une grosse larme roula sur le col de la cruche. Dans la cuisine le Survenant chantait :

Là-haut, là-bas, sur ces montagnes,
J’aperçois des moutons blancs,
Beau rosier, belle rose,
J’aperçois des moutons blancs,
Belle rose du printemps.

Sa voix n’était pas belle ; elle n’avait rien d’une voix exercée et pourtant elle parlait au cœur. Dès qu’elle s’élevait il fallait l’écouter sans autre occupation : les mains se déjoignaient. Chacun alors se laissait emporter par elle sur le chemin de son choix, un chemin où chacun retrouvait, l’attendant, chaud d’ardeur, l’objet de son rêve : des terres grasses, fécondes, ou un petit faneau à avoir soin, ou un visage bien-aimé, ou une mer de canards sauvages…