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LE SURVENANT

plus vite qu’à un autre. Il peut être vieux de visage, sans être vieux d’âge et sans être vieux de corps.

La conversation languit. Parfois l’un s’interrompait au milieu d’une phrase pour exhaler un profond soupir, plus de l’estomac que du cœur, et les mains lâchement croisées sur sa panse gonflée, il remarquait à la ronde, mais uniquement à l’intention de Jacob Salvail : « J’ai ben mangé ». D’un signe du menton les autres participaient à l’hommage que l’hôte acceptait en silence comme son dû.

Les femmes, à la relève, donnaient un coup de main, soit pour servir, soit pour essuyer la vaisselle. Elles tenaient à honneur d’aider et l’une et l’autre s’arrachaient un torchon. Inquiète, madame Salvail allait s’enquérir çà et là si rien n’avait cloché. Au moment où on la rassurait en lui prouvant combien le repas était réussi, Eugène, le benjamin de la famille, s’avança, armé d’une fourchette, jusqu’au milieu de la table pour y piquer un beignet et fit ainsi chavirer le plateau. Sur le point de tomber, afin de se protéger, il mit l’autre main dans le compotier d’où les confitures éclaboussèrent quelques invités.

Bernadette, furieuse, cria comme une perdue :

— Son père ! regardez votre beau Eugène, et le dégât qu’il vient de commettre. Il mériterait de manger une bonne volée. À votre place, je le battrais comme du blé.