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LE SURVENANT

Ils rirent encore, le Survenant plus haut qu’eux tous. Amable pensa : « Il dit des choses qui ont ni son, ni ton, et il est trop simple d’esprit pour s’apercevoir qu’on rit de lui. »

Angélina approchait. Venant l’aperçut.

— Aïe, la Noire ! Veux-tu me servir pour l’amour de la vie ? Je me meurs de faim.

Ce premier tutoiement la remua toute. La voix un peu tremblante, elle dit :

— Si vous voulez ôter votre étoile de sur la table, je vous apporte une assiette enfaîtée.

— Mon étoile ?

— Oui, votre grande main en étoile…

Il vit sa main dont les doigts écartés étoilaient en effet la nappe. Il éclata de rire. Mais quand il se retourna pour regarder l’infirme, celle-ci avait disparu parmi les femmes autour du poêle.

— Angélina, Angélina, viens icitte que je te parle !

Un peu gris et soudain mélancolique, une voix questionna en lui : Pourquoi me suit-elle ainsi des yeux ? Pourquoi attache-t-elle du prix au moindre de mes gestes ?

Mais il avait faim et soif. Surtout soif. Puisqu’il ne pouvait boire, il mangerait. Il s’absorba à manger en silence. Une chose à la fois.

— Venant, rêves-tu ? Tu rêves ?

Il sursauta : Quoi ? quoi ?