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PASSAGE DE L’HOMME

avait été lui-même le Maître. On aurait dit alors qu’il était de chez nous, qu’il n’était rien qu’un homme parmi les hommes, et que démangeait le besoin de l’argent. Ce n’est que le soir qu’il redevenait Celui des Iles. Et des gamins parfois s’en venaient à la ferme, à cause de lui. Il leur parlait, ou plutôt il leur répondait. Car c’étaient des enfants pleins de questions, bien éveillés, les plus vifs sûrement du village. Vous savez qu’un enfant en confiance peut vous questionner sur le monde : il n’y a rien dont il n’ait besoin. L’Homme en riait, et nous aussi, et les enfants nous regardaient, interloqués, un peu honteux, comme si nous nous étions moqués. Puis l’Homme redevenait sérieux, mettait la main sur l’épaule du garçon et répondait. Il répondait à tout avec exactitude. Et s’il disait : « C’est compliqué, tu comprendras cela plus tard. » l’enfant insistait tant et tant que l’Homme essayait d’expliquer, et il y parvenait souvent. « L’Homme, les poissons comment ça vit dans l’eau ? L’Homme, le Bon Dieu, dis, quand est-ce qu’il est né ? L’Homme, ma grand’mère, celle qui est morte l’an passé — tu sais, elle n’avait plus qu’une dent et ça piquait quand elle vous embrassait — dis, l’Homme, qu’est-ce qu’elle fait à présent ? Est-ce qu’on mange encore, où elle est ? est-