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PASSAGE DE L’HOMME

férait. Leurs noms étaient si compliqués, si curieusement proches l’un de l’autre qu’il me fallut des semaines pour les apprendre. C’étaient Mintaka, Anilam et Alnitak, trois petites étoiles d’Orion, qu’on appelle encore les Trois Mages, ou les Trois Rois, ou les Sages du Pays de l’Aube. Pour moi, il m’arrivait souvent de l’écouter parler sans regarder le ciel ; il me semblait alors que je voyais mieux les choses dont il parlait. On ne lui posait guère de questions : un mot en appelait un autre, il avançait, il se faisait son chemin, sa voix chantait, et il disait ce qu’on ne peut dire que dans la nuit. Ce qui était étrange aussi, c’est que, même toutes les choses du jour, un poulain qui était malade, des fromages qu’il fallait porter, une faux qu’il fallait aiguiser, toutes ces choses-là, il les mêlait aux autres, et on n’en était pas surpris. Tout faisait partie du même monde, vous comprenez ? Il n’y avait pas le ciel, et puis la terre, il y avait tout ce qui existe, et tout à la fois était beau, et c’était Dieu. Mais il ne parlait guère de Dieu : c’est un mot qui le gênait beaucoup. Il préférait lever la main, ou bien alors baisser la tête, et on comprenait mieux encore. Quant au Bon Dieu, on ne pouvait plus en parler. Et la Sainte-Vierge, et tous les Saints, tout cela commençait à