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PASSAGE DE L’HOMME

Mais non, on ne pouvait pas dire. Tout, ce soir-là, était tranquille dans la maison. Le vent hurlait, mais pas plus fort que d’habitude. Comme d’habitude, Claire et moi nous tricotions, et les aiguilles faisaient leur petit bruit. La Mère cousait ou sommeillait un peu. Le Père fumait sa pipe et parlait avec l’homme. L’eau chantonnait dans la marmite, et le chien s’était assoupi, le nez sur les deux pattes, immobile comme s’il était mort.

Je ne me rappelle plus bien ce qui fut dit ce soir-là dans la maison ; mais je sais que le lendemain, à peine levée, j’entendis l’homme qui, dans la grange, allait et venait, cherchant sans doute quelque travail à faire. C’était curieux, ce plancher craquant sous ses pas. Je revois Claire, un doigt levé ; je l’entends dire : « Écoute ! » L’homme marchait là comme s’il avait été chez lui. Je ne veux pas dire qu’il ne se gênait pas : non, il savait comment marcher, comment faire avec toutes les choses, avec cette lame grinçante auprès du seuil, avec la porte, avec la clenche qui fermait mal. On aurait dit qu’il était là depuis toujours. Et n’importe où, comme on put le voir par la suite, il était là depuis toujours.

Les premiers temps, on essaya de l’appeler par son prénom. Mais il fallut y renoncer : son prénom était difficile. Les hommes de