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LES SOLEILS D’HIER


Ce sera le temps des choses épiques ;
Nous verrons les rois, pasteurs des humains,
Un sceptre de bois dans leurs fortes mains,
S’asseoir sur les bancs des pinces publiques,

Et puis nous irons sur les galets blancs,
Sur la grève où meurt la vague sonore ;
Nous verrons au sein de Téthys qu’il dore
Le grand Hélios descendre à pas lents,

Et Nausicaa la jeune princesse
S’en viendra laver de riches tissus ;
L’onde jaillira sous ses beaux pieds nus.
Nous serons cachés dans l’yeuse épaisse,

Et la vierge aux bras blancs comme le lait,
La vierge pareille aux nymphes divines
Dans le bruit rythmé des vagues marines
Chantera son chant qu’Homère entendait.




Mais l’âpre obsession du présent nous rappelle,
Et les réalités m’ont insulté tout haut ;
Il faut rouvrir les yeux à la clarté nouvelle,
Vivre et lutter pour vivre — et souffrir. — Il le faut,
Hélas ! et je me sens faible comme une femme,
Car l’égoïsme exquis du rêve où j’ai vécu
M’a bercé de langueur et m’a déformé l’âme ;
Sans avoir rien tenté mon courage est vaincu.
Je suis un étranger parmi ceux de mon âge ;
J’ignore le hasard qui chez eux m’exila,