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L’OPTION


Si Dollard revenait… ! Oh le joli scandale et le bel anachronisme, que ce chevalier de la sainte audace et du sacrifice, dans notre âge de peur et d’esprit pratique. Et pourtant l’hypothèse de son retour vaut la peine d’être posée dans les leçons opportunes et pressantes qu’elle peut fournir.

Si Dollard revenait, il me semble que voulant faire de sa vie comme autrefois, le plus noble, le plus parfait usage, il commencerait par s’accorder aux réalités présentes. Son premier acte serait alors de faire le choix de sa patrie et il opterait pour le Canada, sa patrie naturelle. Avez-vous songé qu’au début de son sacrifice, il a dû mettre, de toute nécessité, cette option initiale ? Rien ne l’obligeait d’aller jusqu’à la mort. Et nul ne va jusque là sans un motif qui suffise à ce dévouement. Si Dollard a choisi de mourir pour la Nouvelle-France, c’est sans doute qu’elle lui apparaissait comme un prolongement de l’ancienne, mais c’est aussi qu’il l’aimait déjà comme une patrie, c’est qu’il voyait en elle le pays d’élection de sa jeunesse ardente, celle qui aurait sa pensée et son labeur et qui perpétuellement garderait ses os. Des documents récents paraissent bien l’établir : le héros avait décidé de se fixer ici ; il avait pris une concession de terre ; il y avait même commencé des travaux de défrichement. Dollard, n’en doutons pas, a puisé dans son amour pour la Nouvelle-France, dans son option précise et définitive pour elle, le premier mobile de son sacrifice. Mais alors cette ouverture sur la psychologie du héros ne pourrait-elle nous expliquer la rareté chez nous du dévouement à la patrie ? Pour se dévouer à la patrie, il faudrait d’abord y croire, il faudrait avoir opté pour elle. Et comment ne pas songer, avec quelque tristesse, au nombre presque infini, qui n’a pas encore fait son choix, même parmi nous, les plus vieux habitants de ce pays ? Combien vivent toute une existence sans jamais rencontrer, parmi leurs motifs d’agir, la poussée patriotique ? Hélas ! il faut bien l’avouer : nos esprits et nos cœurs paraissent