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fession des armes ; et si j’étais assuré de ne pas donner ma vie pour lui, je quitterais ce pays et irais servir contre le Turc, afin de ne pas être privé de cette gloire. »

Depuis trois ans qu’il vit dans cette atmosphère, que s’opèrent en lui les germinations mystérieuses du surnaturel, chaque jour le héros grandit et s’épure en l’âme de Dollard.[1] Sa jeunesse enthousiaste le fait rêver de coups de mains plus hardis, de sacrifices plus beaux que les autres. Il en est là, dans l’effervescence de ces sentiments, quand arrive la nouvelle de l’invasion iroquoise. Que faire ? se demande-t-on autour de lui, pour écarter l’effroyable menace ? Le temps est passé des demi-mesures, des demi-sacrifices. C’est l’heure décisive. Les hommes de Villemarie, sentinelles avancées, soldats du premier front, n’ont pas à hésiter. Ils doivent par un coup d’audace arrêter l’envahisseur, ou se coucher pour mourir, sous les ruines de la colonie.

Le soir, sans doute, quand le péril devient plus grand, qu’il fait son inspection autour du fort, le jeune Dollard retourne dans son esprit la tragique alternative. Il est commandant de la garnison de Villemarie. Chef, il doit l’exemple : plus que les autres, il doit payer de sa personne, et il sait jusqu’où doit aller le sacrifice d’un soldat. Mais cette colonie embryonnaire, cette petite race au berceau, valent-elles la peine d’un holocauste ? Et Dollard écoute la rumeur de la grande nature. Du haut des bastions de la Pointe-à-Callières lui arrivent les grondements solennels du Sault Saint-Louis avec les mugissements de la forêt vierge. C’est la vie mystérieuse et haletante d’un monde en puissance qui fait appel au héros. Et par delà la montagne où chaque soir le soleil disparaît, le jeune homme mesure en esprit l’immense pays qui attend le réveil. Là-bas, plus haut que les « mers douces », sur des bourgades fraîchement dévastées, se lève, glorieux, le fantôme des martyrs. Eux aussi, ils appellent le héros. Il les entend qui lui disent : « Viens, fils de notre race et de notre foi ; nous nous sommes couchés ici pour que

  1. C’est bien là le vrai nom du héros, c’est bien ainsi qu’il a toujours signé, comme le démontre M. E.-Z. Massicotte, dans The Canadian Antiquarian. No 2. t. IX. 1912. Il faut espérer qu’on nous débarrassera enfin de ces Daulat et de ces Daulac, qui ne sont que des déformations de mauvais copistes.