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Dans la colonie où la nouvelle se répand c’est l’universelle épouvante. À Québec, on expose le Saint-Sacrement et l’on fait des processions. Le 19 mai, Mgr de Laval fait enlever les saintes espèces de l’église paroissiale et des chapelles des communautés. Sur l’ordre de l’évêque, les Ursulines et les Hospitalières évacuent leurs monastères et vont loger dans la forte maison des Jésuites, Gagnés par l’épouvante, les habitants des environs, depuis Sainte-Anne de Beaupré, se jettent eux aussi chez les Jésuites ou dans le fort. Et dans la petite ville terrorisée, des patrouilles vont et se croisent et se renvoient dans la nuit le solennel « Qui vive ? »

Plus de doute, pour le grand nombre c’est la fin de la Nouvelle-France. Les plus intrépides sont à bout, en ont assez de l’horrible cauchemar. Ils parlent de faire venir des vaisseaux de France pour rembarquer tous les colons. D’autres se demandent, avec angoisse, si quelqu’un survivra pour porter au vieux pays la funèbre nouvelle. Seul un petit groupe d’âmes confiantes, qui croient malgré tout en l’avenir de la colonie, regardent du côté du ciel et attendent un sauveur.

Le sauveur parut.

Il avait vingt-cinq ans. Il était commandant de la garnison au fort de Villemarie. Héros précoce, de bonne heure la gloire lui est venue. À vingt ans il commande dans l’armée française. Venu au Canada à vingt-deux ans, en 1657, à ce qu’il semble, il a pris son poste au point périlleux, dans Villemarie, la Marche de l’ouest. Et là, au fort, il vit dans la confiance de son chef, un saint et un héros qui s’appelle Chomedey de Maisonneuve, et dans l’intimité de cet autre qui s’appelle Lambert Closse.

Dans la colonie mystique et militaire du Mont-Royal c’est la contagion d’une exaltante générosité. Parmi ces hommes qui défrichent en priant, le fusil à côté d’eux, qui communient chaque jour, et, soldats de la sainte Vierge, s’offrent à tour de rôle à l’attente tragique de la mort, aucun qui soit au-dessous de l’héroïsme. Un jour qu’à l’un d’entre eux l’on fait le reproche de trop s’exposer, le major Closse, car c’est lui, fait cette réponse impatiente et caractéristique : « Messieurs, je ne suis venu ici qu’afin de mourir pour Dieu, en le servant dans la pro-