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tence. Pas de méprises qui seraient irréparables. C’est trop peu, pour arrêter des courants funestes et pour éclairer son temps, que des efforts intermittents, des travaux isolés, des œuvres d’occasion. L’élite intellectuelle ne fera tout son devoir et ne sauvera notre avenir de race française, que si elle veut se condamner aux longues réclusions, aux infatigables labeurs ; si elle décide de s’unir, de faire la coopération des ouvriers de l’esprit ; si tous les problèmes de l’heure reçoivent d’elle les solutions qu’ils attendent ; si son âme est assez haute qu’elle consente à rester pauvre parfois, à renoncer aux honneurs, aux faveurs des grands pour garder le droit de servir la vérité ; si elle aime assez son pays et le commandement de sa foi et de sa conscience qu’elle veuille devenir dans notre histoire prochaine une élite de sacrifiés.

De quelle grande espérance ne pourrait-elle pas alors se soutenir ! Dès cette vie le sacrifice est un multiplicateur de dévouement. Voyez quel magnétisme il a mis dans toute la personne de Dollard, dans ce jeune chef qui entraîne vingt jeunes gens à la mort. C’est à cette même condition que nos jeunes maîtres obtiendront d’être suivis. Une cause paraît toujours assez belle quand les chefs ont décidé d’y mettre leur vie.

Là ne s’arrête point la fécondité du sacrifice. Quand Dollard fut tombé avec ses compagnons, on put croire, dans le premier moment, à une décimation funeste, à une grande promesse brisée. Villemarie était veuve de son héros. Après le premier moment de gratitude et de souvenir, une telle pesanteur de plomb et d’oubli s’abattit sur cette mémoire que l’œuvre put paraître achevée avec l’holocauste. Pas une ligne, pas un mot ne restait du glorieux tombé. Et pourtant voici qu’il revit et qu’il revient, après plus de deux siècles et demi, voici que plus vivant qu’autrefois, il prend sa place parmi nos professeurs d’héroïsme et le jeune commandant Dollard s’appellera bientôt de son vrai nom : l’un des premiers maîtres de notre jeunesse.