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revenir que morte ou victorieux. « M. Dollard, dit la Sœur Bourgeoys, assemble seize ou dix-sept hommes des plus généreux pour aller attaquer les sauvages et à dessein d’y donner leur vie si c’était la volonté de Dieu.[1] Et si Dollard revenait, n’en doutons pas, ce serait pour reprendre son rôle de chef de l’élite et pour lui crier ses solennels devoirs. Ce ne serait plus, comme autrefois, du haut des bastions de la Pointe-à-Callières, l’appel confus d’une race encore à naître qui viendrait à lui, mais la voix inquiète et haletante d’un peuple dispersé aux quatre coins du continent et qui sent se reformer contre lui la coalition formidable de l’ancienne barbarie. Dollard entendrait cette autre voix plus lointaine et innombrable, voix solennelle et troublante des morts, voix de la patrie mêlée à nos instincts de race et qui, aux heures plus tragiques, quand l’avenir est menacé, s’élève au-dedans de nous, profonde et pressante, et, jusque dans le silence de nos cabinets d’étude, vient parfois nous ordonner les gestes de défense. Et Dollard qui aurait entendu, s’en irait comme jadis par la grande ville, le front gonflé par son rêve héroïque, hélant la jeunesse pensive et ardente pour le sacrifice jusqu’au bout, pour ce qu’il appellerait peut-être dans la langue de Péguy et de Maurras, « le salut éternel de notre race. »

L’élite pourrait-elle se dérober à l’impérieux appel ? Dollard ne l’appellerait pas à la mort, mais il l’appellerait à servir. Il lui prêcherait ses hautes responsabilités. « Mourir pour une cause, lui dirait-il avec Ozanam, c’est bien court ; la véritable dignité humaine, ce qui est long, ce qui dure, c’est de souffrir et de travailler autant que la vie. » Après tout, l’élite n’est l’élite que pour être candidate au dévouement. Elle ne prend son nom et sa dignité que de la noblesse des biens qu’elle peut sacrifier. De même que dans l’ordre matériel, les richesses prennent, de par la volonté divine, une sorte de destination sociale, ainsi, dans l’ordre spirituel, doit-il y avoir la part des pauvres. Il est des intelligences et des dévouements qui ne s’appartiennent pas en entier ; et les riches de l’esprit et du cœur doivent administrer leur superflu au profit de la patrie et de Dieu. Que fais-je autre chose que paraphraser en ce

  1. Faillon, t. II. p. 414.