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pauvres que parce qu’ils se commencent à eux-mêmes. Cela lui semble à elle d’une essentielle évidence qu’il lui faut vivre en s’appuyant sur la terre qui la porte, en contact avec la race dont elle est issue, dans la famille de ses vivants et de ses morts. Elle n’a pas renoncé pour cela à la culture ni à aucune forme de supériorité. Regardez quelques-uns de ses chefs. Leur talent à tous honore les causes qu’ils servent ; ils représentent une élite vers laquelle nous n’avions pas encore monté. Entre eux et les anciens il y a, par exemple, cette différence qu’autrefois la culture semblait déraciner et qu’aujourd’hui elle enracine plus profondément. Ces jeunes hommes qui ne prétendent pas, quoi que l’on dise, à l’indépendance intellectuelle, qui voire se réclament volontiers des influences françaises, se persuadent néanmoins que, devant elles, nous avons à garder une attitude de liberté. Le meilleur hommage à leur rendre, semblent-ils dire, est d’y aller chercher, non pas des puissances néfastes qui nous arrachent à nous-mêmes, à nos qualités natives, mais des ferments appropriés et généreux pour le libre développement de notre personnalité. Et cela ne veut pas dire, comme d’aucuns essaient de le faire croire, que l’on veuille cloîtrer son esprit ni s’interdire la vérité et la beauté universelles ; mais cela veut dire, par exemple, que l’on entend mettre sur toutes choses le reflet de son âme à soi, que l’œuvre originale vaut mieux que l’œuvre pastichée ; et qu’agir ainsi n’est point servir fanatiquement la vérité et la beauté de son pays, mais la vérité et la beauté dans son pays et qu’en conséquence le mérite et le bonheur d’avoir un instant éclairé les esprits, enchanté la sensibilité de ses frères sont placés plus haut que toutes les couronnes et toutes les palmes étrangères. Et cela veut dire encore, dans un autre ordre de choses, non pas l’exclusivisme pour les œuvres de chez nous, mais la préférence aux œuvres de chez nous. Cela veut dire enfin que si l’on a travaillé et s’est dévoué pour sa race, l’on se sent plus fier du bonheur d’avoir servi les siens, plus content d’un simple merci de ses compatriotes, que de toutes les médailles, tous les rubans, tous les titres opulents de consonnes germaniques qui récompensent le dévouement à l’étranger.

Et voilà bien ce qui fait la force de la génération présente. C’est qu’avec elle les forces traditionnelles aidées