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quand la France nous faisait banqueroute ? Et à ce mérite vous ajouterez peut-être cet autre assez estimable, d’avoir depuis cent cinquante ans, autre petite poignée de soixante-cinq mille au début, non seulement tenu tête à une effroyable force d’assimilation, mais chaque jour d’avoir continué notre développement normal, régulier, ne cédant pas d’un pouce, allant de l’avant toujours, marquant nos conquêtes du sol par le signe de nos clochers, nous emparant des libertés du vainqueur, le forçant à respecter les nôtres, retenant sans alliage nos qualités chrétiennes et françaises, notre langue, notre foi, nos mœurs, tous les éléments de notre diversité, demeurant enfin, dans le vaste océan anglo-saxon, avec notre moralité, l’une des plus hautes, avec notre culte de la bonté et de la justice, avec nos survivances apostoliques, un îlot intangible de granit catholique et latin ? Oui, voilà notre histoire immortelle, s’écrierait Dollard ; et la méprise qui voudra parmi les peuples plus riches. Mais quand des étrangers l’appellent eux-mêmes un miracle, je crois que, chez nous, elle peut suffire à la plus exigeante fierté. Et, pour la race qui l’a vécue, je demande un peu mieux que le sceau de l’infériorité et le reniement de ses fils. Et c’est pourquoi, continuerait encore Dollard, au risque de scandaliser davantage tous les professionnels de l’exotisme et du déracinement, quand nous serions au monde le seul débris de la race française, quand nous ne devrions appuyer que sur nous-mêmes notre volonté de durer, je n’hésite pas à le dire, notre seul passé, notre seul honneur, notre seul patrimoine spirituel, la seule valeur humaine que représentent nos ancêtres, nous seraient des motifs suffisants de ne pas démissionner de notre droit de vivre. »

Ainsi parlerait Dollard, professeur d’histoire canadienne, et ayant découvert ce fondement solide à une nouvelle option, il nous appellerait comme autrefois au service du pays. Et notre devoir ce serait de l’entendre et de le suivre. Mais quoi donc ! Dollard n’est-il pas un chef que déjà l’on écoute et l’on suit ? Une génération est en marche que nous pourrions appeler avec Barrès « la promotion de l’espérance », et qui porte toute l’histoire de notre race « chevillée à son âme. » Celle-là ne voudrait pas contenir dans son sein de ces hommes diminués qui n’ont rien du passé dans leur être et qui n’apparaissent si