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ticularisme national que nous avons fait reconnaître par le pacte fédératif de 1867. Que nous manque-t-il donc pour nous attacher à ce sol et nous déterminer à rester chez nous ? »

Dollard aborderait ensuite, sans vaine appréhension, l’examen de notre passé. « Le véritable patriotisme, a même écrit un jour Fustel de Coulanges, n’est pas l’amour du sol, c’est l’amour du passé, c’est le respect des générations qui nous ont précédés. » Ici encore, je n’en doute pas, Dollard trouverait des motifs suffisants d’être fier de son sang et de confondre les déracinés. Peu lui importerait qu’en ce domaine surtout il découvrit les ravages de l’ignorance et dût mesurer ce que nous a valu et nous vaut encore de mépris et de désertion, la prétendue pauvreté de notre patrimoine.

Parce que derrière nous ne se déroulent pas vingt siècles d’histoire, parce que peuple de défricheurs et de laboureurs, nous n’avons pu écrire que les poèmes du travail, l’épopée de la charrue, parce que le sceau des vertus morales brille seul à la place des lauriers immortels, Dollard verrait encore aujourd’hui des esthètes et des parvenus et aussi des amis que nous n’avons point su instruire, s’écarter avec une immense pitié et considérer notre peuple comme un type inférieur dans la famille française.

Mais Dollard ne s’arrêterait pas à ces vues superficielles. Il regarderait par lui-même dans ce passé que l’on méprise parce qu’on en ignore le premier mot. Et pour rassurer son patriotisme et exciter le nôtre, non, il ne serait pas à la peine de fouiller toutes les avenues, tous les recoins de l’histoire. Les grands ensembles, les lignes maîtresses lui suffiraient comme après tout elles doivent nous suffire. « Et sans doute, dirait-il, nous ne sommes pas une race millénaire et quelques fleurons peuvent manquer au front d’un peuple adolescent. Mais tout de même, ô déracinés dédaigneux, vous compterez peut-être pour quelque chose le mérite d’avoir pu, petite poignée de Français, explorer, évangéliser presque tout ce continent, d’en avoir été les maîtres pendant un temps, jetant un souvenir français sur toutes les grandes routes de l’Amérique, ne retraitant, à la fin, qu’au prix d’une épopée militaire, quand nos drapeaux étaient trop lourds de victoires,