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patrie par le dévouement aux partis, et de l’esprit national par l’esprit politique.

Notre génération évalue, tous les jours, en le subissant, le lourd héritage de ces égarements. Pendant longtemps les efforts les plus généreux, les initiatives les plus urgentes n’ont point trouvé où s’appuyer dans la conscience populaire. Que dis-je ? À certains moments notre peuple paraissait avoir perdu jusqu’à l’instinct de conservation. Et malgré le labeur et le réveil de ces dernières années trop d’indices ne viennent-ils pas nous avertir que la fraternité du patriotisme est encore impuissante à nous lier, impuissante à nous arracher les déterminations libératrices ?

Si Dollard revenait, avec quelle ardeur, quelle puissance de conviction il nous apprendrait à opter. Lui qui avait vécu à peine trois ans en la Nouvelle-France et qui avait déjà choisi, quel plaidoyer éloquent, pressant, ne saurait-il pas nous adresser alors que pour justifier sa volonté des mêmes sacrifices, il chercherait ses liens d’amitié avec ce pays ou ferait l’inventaire du passé ?

Le Dollard de 1919, patriote d’instinct et de conviction, nous tiendrait à peu près ce discours : « Oui, nous avons une patrie et même nous n’en avons qu’une. La patrie, a dit Mgr Pâquet après saint Thomas, c’est le sol qui nous a vus naître et où nous avons grandi. » Et le sol qui nous a vus naître et où nous avons grandi, c’est, jusqu’à nouvel ordre, le Canada. Trois cents ans d’habitat dans cette partie du nord américain, le droit du premier occupant, du premier évangélisateur, du premier défricheur, un pied-à-terre solide un peu dans toutes les provinces, donne raison à la race française de considérer tout le Canada comme sa patrie.

« Mais dans la grande patrie, nous de Québec, nous avons aussi une petite patrie locale, notre province française. C’est entre Montréal et Tadoussac que résidèrent longtemps le berceau et le foyer de notre race. C’est dans ces limites ou à peu près que nous avons été enfermés après la conquête ; c’est sur ce territoire que nous avons vécu, souffert, grandi, que nous avons développé nos institutions et notre caractère ethnique. C’est ici, pour tout dire, que nous avons posé à jamais notre empreinte française. Et c’est l’autonomie de cet État et c’est notre par-