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L’Ancêtre



Il fut le seul de son nom à venir de France.

L’autre jour, je suis allé voir le coin de terre où il a vécu, où, quinze ans de sa vie, il a lutté contre la forêt, contre le sol, pour tomber à la fin, dans une autre lutte, simple et grand, pour la Nouvelle-France.

Il était venu là, en 1675, petit gars de Normandie, nouvellement marié à Ville-Marie, par M. Gilles Pérot, en présence de Charles Le Moyne, de Jacques Le Ber et de M. Gabriel Souart, ancien curé, lesquels ont signé comme témoins. Le Ber et Le Moyne, au mariage du petit cordonnier normand, me révèlent sa famille spirituelle.

Un jour donc il prit avec lui sa jeune épouse et son premier enfant, et il les emmena sur sa terre fraîchement achetée, presque au Bout de l’île, sur la rivière des Prairies. Depuis dix ans environ c’était la paix à Ville-Marie. L’on quittait les lignes de la vieille enceinte, et l’on allait prendre de la terre, en pleine forêt, aussi loin que possible, bravement, comme alors ils faisaient tous, avec la volonté d’agrandir la patrie. Le ménage normand travailla quinze ans sur son lot. À l’ombre de la maison, il fit croître du blé et des enfants. Au recensement de 1681, Jean Grou possédait déjà, outre son mobilier et un fusil, quatre bêtes à cornes et dix arpents de terre en culture. La maison était bâtie à quelque cent pieds de la rive, près d’une coulée large et enserrante qui lui faisait comme un fossé féodal. Cette première maison de l’ancêtre, je me la figure de pierre, blan-