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Notre Maître, Le Passé

Ils étaient jeunes ; ils avaient autour d’eux des mères, des sœurs, des fiancées peut-être ; l’un d’eux, ce Blaise Juillet, avait femme et quatre enfants. Ils avaient passé les mers pour venir se créer ici un établissement, ils avaient commencé de se faire de la terre et ils s’y sentaient fortement attachés. Ils étaient l’élite d’une colonie qui n’avait qu’une poignée d’hommes ; ils étaient les futurs chefs de famille, les fondateurs d’une race qui avait toutes les raisons de se montrer économe de son sang ; ils vivaient à une époque de terreur où chacun se terrait dans sa maison, où un grand nombre, découragés, s’apprêtaient à quitter le pays.

Mais ils étaient aussi de Ville-Marie, — Ville-Marie, fondation de héros et de saints, miniature de la primitive Église dans les forêts du Nouveau-Monde ; Ville-Marie qui a voulu se constituer aux portes de la barbarie, la marche de l’Ouest, le rempart suprême de la Nouvelle-France ; Ville-Marie où travaillent et prient ensemble des hommes et des femmes qui s’appellent Maisonneuve, Lambert Closse, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys ; Ville-Marie, école de chevalerie où l’on bâtit la cité avec la truelle et l’épée, où l’on prie autant que l’on se bat, où tous les hommes valides sont miliciens de la Sainte-Vierge et vivent dans la familiarité de la mort et de l’héroïsme : Dollard et les seize ont vécu une partie de leur jeunesse dans cette atmosphère de chevalerie chrétienne où les plus grands étaient ceux qui avaient le plus de foi. Quand ailleurs l’on tremblait, que terrifié l’on attendait chez soi l’invasion ou que l’on fuyait devant elle, dix-sept petits Montréalistes se levèrent, baisèrent au front la Nouvelle-France, tendirent leur gant au Dieu de nos martyrs, et, un jour