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Ville-Marie

Pas plus qu’il n’est vertu temporaire, l’héroïsme n’est chose d’une élite à Ville-Marie. Il y a sans doute de beaux noms aux résonances épiques, ceux que l’histoire retient pour ses majuscules : Le Moyne, Closse, Dollard des Ormeaux, de Brigeac, Saint-Père, de Rouvré, Picoté de Bélestre, de la Place, de Lavigne, Claude Robertel de Saint-André, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys, Jeanne Le Ber. Mais à Ville-Marie, la vaillance n’a pas de rang social ; elle est la vertu commune. L’héroïsme est demandé à tous et il est offert par tous comme la besogne quotidienne, comme le simple devoir de la vie. Pour protéger les travailleurs des champs et hâter la conquête du blé sur la forêt, on décide d’organiser un camp volant. Ce furent d’abord les « Soldats de la très sainte Vierge », confrérie militaire renouvelée du temps des croisades. Le devoir de ces braves n’est pas un jeu. Il s’agit de faire le guet autour de l’enceinte et des champs qui s’ensemencent ; il faut épier et prévenir un ennemi rusé, insaisissable, féroce. Les « Soldats de la très sainte Vierge » assument à tour de rôle le devoir périlleux de gardiens de la cité ; ils sont un pour chaque jour. Chacun en prenant son poste se tient prêt à mourir ; il se confesse, il communie et il part pour sa ronde. Le soir, on le ramassera quelquefois mort et sans chevelure ; une balle invisible partie d’un buisson, un tomahawk surgi de derrière un arbre l’a abattu traîtreusement. Qu’importe. Les rangs se reforment ; le lendemain un autre « Soldat de la sainte Vierge » reprend le poste du mort, car personne ne voudrait se dispenser de l’espérance de mourir. « C’est, dit la Sœur Morin, qu’ayant l’honneur d’être « Soldats de la très sainte Vierge », ils avaient la confiance que s’ils mouraient dans l’exercice de