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Notre Maître, Le Passé

quante-trois colons, quarante-huit hommes et cinq femmes, la guerre iroquoise bat son plein. « Ils ont rompu la paix », dira M. de Montmagny, « d’une façon qui les fait voir plus animés que jamais. » À Québec on multiplie les efforts pour retenir à l’Île d’Orléans le petit parti des Associés. À toutes ces instances, Paul Chomedey de Maisonneuve fait la fière réponse que l’on attend de lui. Et quelle résonance chevaleresque en ces paroles promises au bronze : « Je ne suis pas venu pour délibérer, mais bien pour exécuter ; et tous les arbres de l’île de Mont-Réal seraient-ils changés en autant d’Iroquois, il est de mon devoir et de mon honneur d’aller y établir une colonie. » Et la colonie est fondée, et la guerre commence, sans retard, sans répit, harassante, épuisante.

Ville-Marie, c’est encore la fidélité héroïque à défendre un poste d’honneur. Pendant vingt ans, de la fondation au départ de Chomedey de Maisonneuve, la colonie naissante fut un noviciat de chevalerie. Le péril est de toutes les heures, de tous les moments ; il faut que la vaillance le soit aussi. Ces colons doivent labourer, semer, bâtir leur hutte et les forteresses et l’enceinte de la petite cité, sans que jamais l’épée ou le mousquet ne se sépare de la hache ou de la charrue. Du reste, l’établissement de la Pointe-à-Callière a tous les aspects d’une place forte ; toute nouvelle construction, les moulins, l’hôpital, la brasserie, les fermes, les maisons deviennent des moyens de défense et les points d’appui d’une chaîne de redoutes. La petite cité grandit dans un décor militaire. De temps à autre, une alerte survient ; dans la forêt prochaine des coups de feu retentissent, de sanglants corps-à-corps s’engagent. Le soir, un, deux, trois noms manquent à l’appel, et le deuil maintient les âmes dans les habitudes tragiques.