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Notre Maître, Le Passé

dant longtemps la population de la Nouvelle-France aura l’air d’une série de camps volants. Contre l’Iroquois qui dévaste le pays, contre l’Anglais qui menace les frontières, au service des traitants qui mobilisent les canotiers, hommes mariés, jeunes gens se font en grand nombre coureurs de bois ou de fleuves, vagabonds de la gloire qui étendent les frontières encore plus qu’ils ne les défendent. Le spectacle est magnifique d’audace aventureuse et chevaleresque. Mais quel péril pour les mœurs que ce nomadisme prolongé où succombe une trop grande partie de la population.

Le bonheur de la Nouvelle-France fut alors d’être gouvernée par des évêques de la grande tradition dont la hardiesse apostolique allait aussi loin que le devoir. Leurs mandements de ce temps-là nous révèlent avec quelle vigueur, quelle ténacité, ils s’élevaient contre tous les dérèglements. Pour eux le progrès, la civilisation véritable n’est pas dans les gains du commerce ou de la gloire ; elle consiste avant tout dans la dignité des mœurs, dans la domination de la volonté sur les mauvais instincts de la nature humaine. Aussi le luxe, la vanité, l’usure, l’indécence, l’ivrognerie, le mépris du dimanche se heurteront-ils à de véhémentes dénonciations. Quel fier courage que celui de ces chefs d’Église dont l’un osait bien s’adresser « au gouverneur et à la gouvernante », pour leur rappeler l’obligation où ils sont de donner le bon exemple au peuple. »[1] Leur sévérité est sans ménagements pour les corrupteurs ; ils n’admettent point « qu’il y ait des cabarets dans les paroisses », et ils défendent d’absoudre « ceux qui veulent gagner leur vie par ce détestable commerce ».[2] Ri-

  1. Mandements des évêques de Québec, t. I, pp. 169-174
  2. Mandements des évêques de Québec, t. I, pp. 511-512