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Notre Maître, Le Passé

je pas » ? écrivait-il alors. « La cause de l’enseignement chrétien, dans le Manitoba et le Nord-Ouest, était l’objet de mes aspirations et de ma vie depuis 45 ans. C’est à cette cause sacrée que j’avais voué toutes les énergies et les ressources dont je pouvais disposer ». Et voilà qu’un simple décret ruinait sans façon ce travail d’un demi-siècle.

Le vieillard de Saint-Boniface dut boire, avant de mourir, cette suprême amertume. Fatigué, malade, il fait voir néanmoins que son grand âge n’a pas abattu sa mâle énergie. Il est là pour diriger les premières batailles, pour soutenir les quatre premières années de la lutte. Il assiste aux rares victoires et aux nombreuses défaites. Miné par le chagrin, il reste pourtant sur la brèche. Sans doute, il relit parfois, pour garder tout son courage, l’exhortation pathétique que lui adresse, des Trois-Rivières, son ancien compagnon de l’Île-à-la-Crosse, le vénérable Mgr Laflèche : « Courage, cher Seigneur, travaillons à couronner nos cheveux blancs par une lutte qui soit un encouragement à ceux qui viendront après nous. »

Jusqu’à la fin le grand et premier « blessé de l’Ouest » reste le champion de l’intègre justice. Pour lui « une question n’est réglée que si elle est réglée selon le droit et l’équité. » Le simple soupçon d’avoir sacrifié quelques parcelles de son dépôt arrache au vieux lutteur des cris de lion blessé : « Ma conscience — et ce tribunal est pour mot de haute instance, » dira-t-il fièrement — « ne me reproche pas ce dont vous m’avez accusé… Un demi-siècle de vie de missionnaire a sans doute amoindri mes facultés sans pourtant les éteindre ; refroidi mon cœur sans le glacer ; mais il laisse à ma volonté assez d’énergie pour proclamer hau-